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Étudiants parisiens mobilisés pour les exilés

Paris 8, Tolbiac, Jussieu… autant d’universités dont les noms ont défrayé la chronique en 2018 au
nom de la lutte contre la réforme universitaire. Pourtant, la mobilisation de la plupart de ces
étudiant·e·s est indissociable de la lutte contre une autre loi jugée tout aussi injuste et sélective :

la loi Asile et Immigration.
Luttes similaires ? Pour beaucoup, le point commun est évident : « Nous nous soulevons contre un
même principe injuste de sélection, que ce soit à l’entrée des facs ou au niveau des frontières ».
Le 28 février, un certain nombre d’entre eux qui avaient déjà participé à l’occupation de Paris 8-
Saint-Denis, décident d’occuper Jussieu, au moment où la température a atteint -7°C à Paris et dans
un lieu qui leur semblait tout indiqué : « À la fac, il y a un bâtiment vide parce qu’il est voué à être
détruit, mais il correspond toujours aux normes, et en plus il était chauffé alors qu’il y avait des gens

qui dormaient dehors ! »
L’opération n’aura finalement pas duré 24 heures : la carte CRS est brandie par l’administration.
Faute de pouvoir mener leur projet jusqu’au bout, plus d’une centaine d’étudiant·e·s et de
professeur·e·s en colère se réunissent et une assemblée générale est organisée dans la foulée, pour
donner lieu à Sorbonne sans frontières (SSF), un autre collectif qui vient prêter main forte aux
militants mobilisés. Kevin, un des membres de SSF, explique : « Le but premier de SSF est de faire
avancer les revendications [mise en place de programmes de reprise d’études, alliant cours de FLE
(français langue étrangère) et des cours plus spécialisés, notamment pour les filières scientifiques]
et d’obtenir des choses en plus, comme l’inscription des étudiant·e·s sans-papiers en vue d’une
régularisation, ou l’accès au CROUS [restaurant universitaire] au même prix que les étudiants
inscrits. On voulait d’une part que les administrations des universités se portent garantes des
étudiant·e·s sans-papiers auprès des préfectures, mais également centraliser tout ce qui se faisait
autour de cette mobilisation dans les facs. »
Antoine, en première année au Conservatoire à rayonnement régional (CRR) de Paris est membre
du collectif Les Étudiant·e·s des conservatoires de Paris s’organisent. C’est la situation dans le
camp de la Chapelle qui l’avait « dégoûté ». « Avec la vague de froid de février surtout, je ne
voulais plus rester les bras croisés ». L’idée d’un texte puis d’un collectif au sein du conservatoire,
dont la mission serait de faire la collecte pour les exilés installés à Paris 8, ne tarde pas à émerger.
Mais dans son établissement où l’on entre sur concours, la perspective d’une cause aussi politique
inquiétait : « La direction voulait que ce soit juste de l’humanitaire, sans revendications politiques.
Alors on a respecté les règles, pour organiser les collectes, mais sur les réseaux sociaux, on a été
plus clair, car la question est évidemment politique ». Car, comme pour Les Étudiants d’art en lutte,
le soutien aux exilé·e·s ne s’est pas arrêté aux portes des établissements d’art, réputés élitistes, bien
qu’un travail de sensibilisation ait été nécessaire auprès des autres élèves qu’Antoine juge « trop
dépolitisés. Chacun est dans sa bulle. Ils pensent juste à leurs études et ont peur de consacrer du
temps à autre chose ». Mais « Certains de nos profs étaient fiers de nous, de nous voir mobilisés,
alors qu’ils n’avaient pas osé ».

 

Un îlot de résistance à Saint-Denis
Au bout de la ligne 13 du métro, le bâtiment A de l’université Paris 8-Saint Denis est devenu le lieu
de pèlerinage des militant·e·s solidaires des exilé·e·s. Les murs sont décorés de slogans et de
dessins, laissant exploser la créativité des exilé·e·s accueilli·e·s et de leurs camarades étudiant·e·s.
Si leur avenir est encore incertain, à la veille de la fermeture estivale de l’université,
l’accomplissement ne peut que forcer le respect : pendant cinq mois, près de 150 exilé·e·s qui se
trouvaient dans les camps du nord de la capitale bénéficient d’un toit, de nourriture et de conditions
de vie décentes. Non seulement ils ont pu échapper à la vague de froid, mais ils ont également pu se
réunir, s’organiser et porter leurs revendications. Ces derniers sont en effet présents aux réunions
qui ont lieu plusieurs fois par semaine, et la traduction – en cinq langues – est à chaque fois assurée.
De même, lors de la conférence de presse organisée le 12 juin en prévision d’une évacuation
éventuelle, où des représentants des étudiant·e·s mobilisé·e·s de Paris 8 ont fait le bilan de la
situation avant de céder la parole et la place exclusivement aux représentants des exilé·e·s, qui ont
rappelé leurs revendications et répondu aux questions des journalistes.
Mais au fil des mois, des nuits passées sur place et des négociations avec la présidence et la
préfecture, la fatigue se lit sur les visages des étudiant·e·s qui vivent désormais la mobilisation au
jour le jour, tandis que les exilé·e·s affirment ne pas avoir l’intention de partir : « Faites ce que vous
voulez, nous, on reste là ! ». Il y a d’abord eu les trois premiers mois, la solidarité de certain·e·s
enseignant·e·s qui ont même accueilli des exilé·e·s dans leurs cours, le bras de fer avec la
présidence qui mettait en avant le risque encouru à cause de la vétusté des lieux. La mobilisation
avait alors maintenu le cap, portée par un printemps qui a vu fleurir différentes luttes sociales, et la
présidente a fini par entamer une négociation avec les ministères de tutelle pour porter la
revendication des personnes en lutte : une régularisation pour tous. Mais la joie a été de courte
durée : aujourd’hui, les exilés et leurs soutiens ont été délogés, les négociations « ont échoué », et à
part quelques dizaines d’étudiants qui ont obtenu une inscription à l’université, aucun espoir de
régularisation n’est désormais permis.


Entre essoufflement et espoirs
De Paris 8 à Paris 6, les étudiants resteront marqués par ces mois intenses en émotion et aujourd'hui
leur engagement ne faiblit pas. « Nous sommes présents sur plusieurs tableaux, constate Éloïse de
Sorbonne Sans Frontières. Et même s’il s’agit d’un même combat, en pratique, il ne s’agit pas des
mêmes manifs et ça finit par être épuisant ». Pourtant, elle sait que le travail de sensibilisation
continuera à Paris 6, notamment en faisant appel aux associations professionnelles pour toucher le
plus grand nombre d’étudiant·e·s. Kevin, pour sa part, ne perd pas espoir : « Notre but désormais
est de nous ancrer au maximum dans les activités de soutien aux exilés, quelles qu’elles soient ». Il
faut dire que les étudiants de P6 peuvent se targuer au moins d’une victoire : les enseignant·e·s et
les étudiant·e·s tuteur·e·s seront désormais rémunéré·e·s par l’université dans le cadre des
programmes d’aide à la reprise d’études destinés aux exilé·e·s.

Sarra Grira, journaliste.

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